Nous vous proposons ici une collection de poèmes, articles et essais ayant trait au geste créateur d'images et de représentations

Moi

" Un film est quelque chose de très personnel, bien plus que le théâtre, car le film en lui-même, c'est quelque chose de mort. Le film ne se nourrit pas de la réaction du public. Un film ne vient pas à la vie parce qu'on le projette dans une salle. Finalement, et pour toujours, un film est aussi mort qu'un livre. Et potentiellement, éternellement vivant. "
Orson Welles

L'oeil qui baigne

L’image crie sans mot et nous hurlons avec elle, Un vacarme libéré d’un volume d’idées,
Vouées aux muscles qui se tendent, Aux sorts brisés, genoux au bond.

Le cri du monde que l’on entends plus, Le cri de l’image sans nom ni loi,
Ce cri lointain en nous l’écho, Dépeint des îles et puis des ponts.

D’une rive de limon à l’océan écran, S’insère la foule filtre visage,
L’oeil baignant et dérivant, Camera file contre champs.

L’ours qui danse et les tambours, l’âme au creux d’un vague jeu,
Les vieilles dunes que je parcours, des doigts, des cils et les affreux.

A l’ombre du regard se dresse lumière, Un cirque d’acariens nuit et jour, plus rien,
Intrépide épine pique le Roi discours, Plus de vin ni miel seul vient le point de vue.

Une cadence de mouvements, Dévale fémur avant l’abysse.
La main pianiste du moment, Saisit le sable gémissant.

Mission locale de réinsertion par l’image, Notre but avoué à l’écran comme à la mer,
Explorer les plis du textile toile, dont notre monde et les étoiles sont tissés.
Cr. Ab

Un objet à construire : les publics du cinéma

Nous sommes le public de cinéma, du moins l’une de ses fractions. Mais au juste à quel public appartenons-nous ? À celui qui va voir les films dans une salle ou à celui qui se les projette à domicile ? Ces deux publics semblent inséparables, si le second n’existait pas aucun film ne serait rentable et le premier disparaîtrait. Et pourtant tarifs horaires, lieux, programmes, audience, mode d’écoute, tout les sépare radicalement. Je ne cherche pas ici à compliquer inutilement les choses, je voudrais, sur un exemple familier, mettre en évidence la difficulté du problème que nous nous posons et faire comprendre pourquoi, avant de lancer une étude sur les publics du cinéma, il nous faut définir l’objet de la recherche, les instruments dont elle dispose et les questions qu’elle entend résoudre.
L’intérêt à l’égard de ces publics est récent : spécialistes du cinéma, historiens et même sociologues ont longtemps parlé des films et du « message » qu’ils véhiculaient sans tenir aucun compte de leur diffusion, comme si une œuvre projetée devant dix mille spectateurs équivalait à une œuvre vue par cinq millions de personnes. La chasse à l’audience affichée par les chaînes télévisuelles depuis la dérégulation a rappelé une évidence souvent oubliée : tout film est une marchandise culturelle, les producteurs le fabriquent pour le vendre, leur premier souci est le nombre de spectateurs qu’ils parviendront à toucher. Ainsi le contexte dans lequel la projection a lieu influe-t-il sur l’accueil fait à un film, de la même manière que la qualité des annonces publicitaires, la répartition des points de vente, la variété de l’offre éclairent le succès ou l’échec d’un produit de consommation courante. L’obsession de l’audimat affichée par les télévisions a alerté les chercheurs et, comme en témoigne un simple coup d’œil sur le net, monographies, études de cas, enquêtes d’histoire orale se sont multipliées depuis une vingtaine d’années sans que toutefois se dégage clairement une problématique.
Pierre Sorlin

Anarchisme et cinéma, panoramique sur une histoire du 7e art français virée au noir

L’anarchisme et le cinéma se fréquentent en France dès la fin du XIXe siècle et vont se lier durant tout le XXe siècle à travers beaucoup de mouvements artistiques et de créateurs. En 1895, l’anarchie est à son apogée, elle prédomine alors dans nombre de réflexions sur la société, et séduit beaucoup d’intellectuels et d’artistes. Peintres, photographes, écrivains, de Pissarro à Signac en passant par Courbet, de Nadar à Mallarmé en passant par Mirbeau, tous portent la marque de la révolte libertaire. L’anarchisme, loin de la caricature que l’on a pu en faire, défend plusieurs principes. Ce sont, pour les plus importants, l’anti-autoritarisme, l’anti-militarisme,l’anti-cléricalisme, la valorisation du concept de liberté,le renoncement aux pouvoirs de toutes sortes, et notamment à celui de l’Etat, l’abandon de la notion de propriété privée,le développement de l’éducation. Ce « panoramique sur une histoire du 7e art français virée au noir » reprend l’idée philosophique, politique et sociale, de l’anarchisme historique, telle qu’elle a été définie par ses théoriciens Pierre-Joseph Proudhon, Michel Bakounine, Pierre Kropotkine, ou encore Elisée Reclus. Visant à faire ressortir une histoire anarchiste du cinéma à l’intérieur même de l’Histoire officielle du 7e art, cette recherche entremêle donc deux histoires différentes, celle du cinéma français et celle de l’anarchisme, en soulignant leurs points de convergences à travers des personnalités, cinéastes, scénaristes, dialoguistes, monteurs, acteurs, etc, aux tendances libertaires (comme Antonin Artaud, Bernard Baissat, Jean-Pierre Bouyxou, Luis Buñuel, Hélène Chatelain, Emile Cohl, Carl Einstein, Philippe Esnault, Georges Franju, Christophe Karabache, Maria Klonaris et Katerina Thomadaki, Jean-Jacques Lebel, Yves-Marie Mahé, Man Ray, Georges Méliès, Jean Mitry, Albert Paraz, Jacques et Pierre Prévert, Lionel Soukaz, Michel Zimbacca) ou à l’inverse, via des militants anarchistes ou des descendants de militants, engagés dans le 7e art (comme Roger Boussinot, Gustave Cauvin, Elie Faure, Armand Gatti, Armand Guerra, Henri Jeanson, Emile Kress, Maurice Lemaître, Jean Painlevé, Henry Poulaille, Hans Richter, Jean Rollin et Jean Vigo). Cette recherche en « histoire et esthétique du cinéma » ne développe pas en détail l’histoire de l’anarchisme, chaque personnalité ou courant artistique abordés, et n’analyse pas profondément chaque film ou œuvre évoqués, car tel n’est pas son propos. En revanche, elle tente de souligner, et de mettre en relief, à l’image d’un virage couleur sur une pellicule, les créateurs et les mouvements ayant eu de fortes relations avec la pensée libertaire. La totalité de ces éléments rassemblés dans une sorte de paysage chronologique allant de 1895 à 2004, permet la mise en place d’un large panoramique horizontal décrivant une histoire globale. Tout en adoptant une vue ample, cette étude suit chaque figure ou courant marquant de manière plus détaillée, pour dégager des points de repères plus précis tout au long de ce défilement historique. Ce point de vue, à la fois macroscopique et microscopique, a l’avantage de rendre compte d’une histoire étendue dans le temps, démarquant des contours et des grandes lignes générales à partir des courants artistiques et des créateurs du cinéma plus ou moins connus.
Isabelle Marinone